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Rencontre avec Tadanori Yokoo, gourou du graphisme pop art des années 60.
C'est à Tokyo, une ville qui a nourri ses créations, que Yokoo Tadanori, précurseur de cet avant-garde graphique s'est installé. Né en 1936, il s'impose dès les années 60 en inventant un style qui conjugue l’art traditionnel japonais des estampes avec celui du Pop Art. On l’a d’ailleurs surnommé le Andy Warhol nippon. Yokoo Tadanori réalise dans les sixties des publicités et des films d’animation.
"Ce qui m’a intéressé à l’époque, c’était de mêler les motifs du Japon pré-moderne avec ceux du Pop Art. Déjà à la fin du 19ème siècle, ce qu’on appelle l’époque Meiji au Japon, il y a eu cette ouverture vers les influences culturelles et artistiques venues d’occident. En fait, je n’ai fait que prolonger cette tradition du mélange en utilisant les motifs du Pop Art naissant des années 60. "
Les oeuvres de Yokoo font scandale. Quand il détourne, par exemple, l’une des vues du Mont-Fuji, estampe célèbre du grand artiste japonais, Katsushika Hokusai, pour y représenter une jeune actrice de cinéma en offrande érotique à la montagne sacrée !
"Cette peinture représente l’actrice Miyoku, nue. Elle a une présence érotique qui est aussi chargée d’inquiétudes. J’ai voulu rendre ces deux aspects dans ce tableau du Mont-Fuji. À la fois la charge érotique du volcan en éruption, et aussi le côté démoniaque de cette femme aux doigts et aux ongles de sorcière. Elle est comme une chatte prête à griffer! Oui, évidemment, cette pose a été jugée provocatrice par la société japonaise à l’époque."
Yokoo Tadanori
Exposé récemment à la Fondation Cartier à Paris, Yokoo n’hésite pas à juxtaposer sexe et motifs religieux dans une atmosphère sauvage et morbide.
"Mon intérêt pour l’érotisme découle de ma fascination pour la mort. La mort est très présente dans mon œuvre. Vous savez, dans l’apparence de la mort il y a de l’érotisme. Et vice-versa. Pour moi ce sont les deux faces d’une même réalité. Mais ce n’est pas abstrait. J’ai toujours éprouvé ce sentiment en moi. C’est cette vision organique qui m’a amené dans cette voie artistique."
Yokoo Tadanori
(Souce: Arte TV)
De grandes visions orgiaques rouges et noires figurent une fin du monde post-atomique étrangement vue au travers des yeux d'un peintre symboliste du XIXe siècle. Les paysages flottent sur fond de nuit noire, de cavernes ou de nuées rouges, au-dessus d'un vaste désert égyptien ou dans le ventre d'un volcan. Yokoo explose les espaces sur toute la surface de la toile. Qu'elle grouille de fleurs de cerisiers, de lucioles ou d'étoiles, qu'elle soit balayée par des tourbillons intergalactiques (Adagio 1958), l'espace y est disloqué ou en état de fusion.
Sommes-nous dans une salle de bain (Le Circuit des eaux)? Au-dessus d'une ville (Hong Kong)? Au moment du big bang (Star Child) ou au cœur d'un volcan (Les Deux Cris)?
Il est impossible de savoir si les figures qui en émergent flottent, s'élèvent ou tombent. En cela Le Bain d'or (2005) est la plus emblématique des toiles de cette série, ambiguëe sous son calme apparent. On est immergé dans des couleurs vivifiantes rouge et or. Se baigne-t-on (avec les personnages en silhouette) dans un bain de jouvence, ou est-on pris dans une marmite infernale, sans au-delà autre que la pure matière picturale? Qu'importe, car l'espace existe enfin, suspendu et offert au regard, privé de sens déterminé.
Ailleurs les personnages oscillent entre le pathétique et le symbolique serein. Une jeune femme nous regarde en bavant et hurlant, Mozart offre un cerveau à une musicienne, les héros modernes (Einstein, Hitler, Mozart) se réunissent autour d'un vagin céleste, un lys lumineux émerge dans une rue des bas fonds. Le reste semble appartenir à un théâtre inconscient et à des visions mystiques païennes.
Tadanori Yokoo est japonais mais sa peinture est occidentale, ses compositions sont centrées et le tableau conçu comme une surface à remplir et à creuser. Si l'artiste parle de Picabia ou de Chirico, dont il n'a pourtant pas l'humour, ni la sophistication théâtrale, on pense davantage à Cremonini, William Blake ou Gustave Moreau.
De Blake, il garde cette inspiration romantique et lyrique où les figures sont prises dans des tourments graphiques. De Moreau il reprend le flou et la lourdeur des atmosphères colorées qui enveloppent ou soutiennent les personnages. Sa peinture se rapproche de l'art brut, des réalisations de ces artistes fous surchargeant leurs toiles de mille figures, submergées par des visions de dieux populaires maladroitement figurés.
Parallèlement à cette série, quelques toiles plus variées et joyeuses s'inspirent du pop art anglais et américain des années 60, du côté de Peter Blake ou d'Alex Katz, pour la naïveté du trait, les aplats et la frontalité, ou encore de James Rosenquist pour l'abondance de citations stylistiques à l'histoire de l'art et à l'univers des médias.
Si l'on sent chez Tadanori Yokoo un ardent désir de s'identifier à l'artiste visionnaire, qui ramène des flashs de notre inconscient culturel, on en verra de saisissants exemples dans ses collages et illustrations des années 60.
Les posters permettent de découvrir des compositions qui ont valu à Yokoo sa renommée mondiale en tant que figure de proue d'un graphisme psychédélique et expérimental, et une grande exposition au MoM.A. en 1972.
Dense, complexe, explosant de couleurs violentes et acides, son art graphique reste d'une légèreté et d'une fulgurance rare dans la culture pop de masse. On a l'impression qu'il réinvente l'électricité dans nos yeux mêmes.
Le visionnaire, celui qui explore l'imaginaire de son groupe sociale, ne serait-il pas, dans le Japon d'après guerre, un employé pour la communication ou la publicité plutôt qu'un individu qui peint ses rêves?
(Source: Paris Art.com)
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